© Felix Ancey
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Route des Grandes Alpes® Gravel : le défi de Tom et Valentin

Elles-ils ont traversé les Alpes et elles-ils racontent...

Valentin, 28 ans, est responsable d'une salle d’escalade à La Rochelle. Tom, 30 ans, garde un refuge près de Briançon. Leur amitié remonte à plus de dix ans, forgée au fil des projets, des voyages… et surtout, d’une épreuve inattendue : en 2024, Tom affronte un lymphome de Burkitt. Hospitalisations, traitements, puis une infection sévère qui menace un temps sa jambe. En rémission, il renaît physiquement, mentalement et reprend le sport avec une énergie nouvelle. 

C’est dans cet élan que naît le projet de traverser ensemble les Alpes en Gravel. Début octobre 2025, alors que la montagne se vide de ses derniers touristes et s’embrase de couleurs automnales, les deux amis s’élancent sur la mythique Route des Grandes Alpes® Gravel. 

Un défi sportif mais aussi un acte engagé, porteur d’un message d’espoir et de résilience. Pendant 9 jours, ils pédalent pour la vie, pour la beauté des sommets, et pour celles et ceux que le cancer touche. Valentin revient sur cette aventure totale, entre portages, bivouacs, rencontres inoubliables… et dépassement de soi.

Valentin, peux-tu rappeler le contexte de votre projet ?

Tom et moi, on se connaît depuis une dizaine d’années. On a partagé des soirées, des voyages et des projets. En février 2024, Tom a appris qu’il était atteint d’un lymphome de Burkitt. Le combat a été très difficile : hospitalisations, traitements lourds, une infection sévère de la jambe avec risque d’amputation… Et puis la rémission est arrivée, presque miraculeuse. Cette renaissance lui a donné envie de vivre, de reprendre le sport, de franchir de nouveaux seuils…

De là est née l’envie de traverser les Alpes du nord au sud sur la Route des Grandes Alpes Gravel ?

Une envie commune qui nous a conduits à signer cette promesse : une grande traversée des Alpes à vélo, ensemble, pour donner du sens à notre amitié et à cette guérison. Lorsque nous avons enfourché nos vélos, nous savions que nous partions pour un périple en autonomie, au cœur de paysages grandioses. Mais c’était aussi un projet d’espoir et de solidarité dans la lutte contre le cancer.

Espoir et solidarité

Des amis d’amis

Quels équipements aviez-vous pour l’itinérance ?

On avait tout le matériel nécessaire pour bivouaquer : tente, matelas, duvet. Nous avons pris la décision de ne pas emporter de réchaud : vu la météo, le temps imparti et le terrain, on savait qu’on ne l’utiliserait que très peu. On s’est donc organisés pour manger dans des boulangeries, des petits restaurants ou des snacks trouvés sur la route. Pour le logement, nous avons bivouaqué environ 50 % du temps et dormi 50 % chez des personnes que nous connaissions peu ou pas, souvent des amis d’amis qui nous ont accueillis chaleureusement.

Des compléments alimentaires ?

Nous avions acheté des électrolytes avant le départ. En montagne, les commerces spécialisés sont rares. En revanche, pour le reste, on comptait sur les rayons des commerces de proximité pour acheter des barres de céréales, des gels « anti-coup de pompe ». Notre idée c’était d’alléger au maximum notre chargement de vivres lourds et se ravitailler quotidiennement sur le parcours.

Côté vêtements ?

Tom avait opté pour un cuissard court + jambières, ce qui lui permettait d’ajuster selon la météo. Moi, j’avais pris deux cuissards : un court et un long ; j’ai finalement roulé presque tout le temps en cuissard long. En haut, on portait un maillot à manches longues, et on superposait ou retirait les couches en fonction des conditions.

 

Au sommet de l’Iseran, le ressenti était de –15 °C

Rappelle nous le calendrier de la traversée ?

Nous sommes partis le 2 octobre, et arrivé le 10 octobre. C’était une fenêtre automnale, ce qui implique une météo incertaine, des conditions potentiellement rudes mais aussi une lumière plus douce. On savait qu’on allait rouler dans des zones montagneuses élevées, parfois exposées, et qu’il fallait en tenir compte.

Parle nous de la météo et de certaines conditions extrêmes que vous avez rencontrées ?

Globalement, on a été plutôt chanceux. On a essuyé une demi-journée de pluie lors de la 3e étape. Mais la vraie épreuve est venue lors de la montée du col de l’Iseran, officiellement fermé, mais que l’on a tenté quand même. À partir de 2 500 m, on a roulé sur la neige et la glace. Le verglas était là, très dangereux. Au sommet, le ressenti descendait à -15 °C. Nous avons un peu souffert du froid aux extrémités (pieds, mains). Pour improviser une isolation, on a glissé des sacs pour les crottes de chiens dans nos chaussures. Ça a aidé un peu, mais clairement ce n’était pas suffisant. Après cette journée, le reste du parcours s’est déroulé sous un ciel plus clément, mais ce moment sous la neige reste gravé dans nos têtes.

Avez-vous rencontré des problèmes mécaniques ou d’équipement ?

Dans l’ensemble, rien de dramatique. On a eu une seule crevaison, à 20 km de l’arrivée de la dernière étape. Pas mal pour du Gravel sur neuf jours ! Par erreur, Tom a purgé l’huile du frein avant sur mon vélo en essayant de régler un bruit. Heureusement, ce n’était pas en pleine descente engagée. Les chaussures de Tom étaient peut-être un peu légères pour le froid : ça l’a un peu gêné. Sinon, matériel simple, éprouvé, et aucune casse majeure.

 

Départ en fanfare

Physiquement, pas de chute, pas de bobos ?

Non, pas de chute ! Question bobos, Tom a eu une alerte au genou assez tôt, puis ça s’est rétabli tout seul. Deux jours après, même problème pour moi. C’était probablement lié à un mauvais réglage du vélo (selle, position, etc.). On n’avait pas fait d’étude posturale avant de partir. J’ai d’ailleurs toujours mal au genou aujourd’hui. Le moindre millimètre de réglage peut faire la différence.

Qu’avez-vous pensé de l’itinéraire de la Route des Grandes Alpes® Gravel ?

Magnifique ! Montagnes, lacs, forêts, solitude, tout y était. Mais certains passages sont très / trop exigeants. Des tronçons Gravel avec des côtes à plus de 20% sur terrain instable… On se demandait si certains les grimpaient sans assistance. On pense qu’avec quelques petits détours plus roulants on pourrait économiser de l’énergie sans sacrifier la beauté du tracé. Une pente à 12 % sur un bon chemin ça passe bien. Une pente à 10% sur un terrain très mauvais, ça bloque. Ça rend la préparation difficile d’autant que, sur les cartes ou applications, on ne se rend pas vraiment compte de la nature du terrain.

Parle nous du départ ?

Nous sommes partis de Thonon-les-Bains. La veille, on avait rejoint Genève en train puis continué en vélo. On a rencontré et rejoint un groupe de « runneuses » qui organisait une marche rose contre le cancer. Elles nous ont accueillis comme des stars et nous ont logé le soir. Le départ réel était le 02 octobre vers 08h du matin. Le premier jour on a roulé 7 heures 30 pour 3 100 m de dénivelé. On a connu une montée très raide dès le départ, puis une autre avant d’arriver à Saint-Sigismond où nous avons bivouaqué. Il a fallu pousser, mais globalement on s’est bien senti tout de suite pendant tout ce premier jour.

 

Profiter de la bière de fin de journée

Et le lendemain ?

Après une première étape bien costaude, on avait envie de profiter un peu plus de la journée et de la bière de fin de journée, donc on est partis un peu plus tôt. On avait aussi prévu de retrouver un pote photographe, qui est venu nous suivre sur cette étape, ce qui a un peu modifié nos plans. Du coup, on a raccourci le parcours initial : on a évité un col, ce qui nous a fait gagner un peu de temps et d’énergie. On a fait autour de 70 km et 2 100 mètres de dénivelé. Le ciel était couvert, mais il n’a pas plu. En fin de journée, on a trouvé un petit spot pour bivouaquer à Flumet (Savoie), juste en contrebas du village.

Le troisième jour, vous entrez dans le Beaufortain ?

Oui, exactement. Là, on change de décor. C’est l’une des étapes les plus marquantes pour moi. On est partis tôt, et rapidement, nous sommes rentrés dans un univers beaucoup plus minéral, plus sauvage. On est passés par le Cormet d’Arêches, qui est vraiment un très beau col, assez isolé.

Une grosse journée, non ?

Oui, 80 kilomètres et près de 3 000 mètres de dénivelé. Et beaucoup de Gravel, parfois bien raide. C’était long, surtout qu’on a eu de la pluie l’après-midi. On est arrivés à Bourg-Saint-Maurice bien mouillés. Heureusement, nous avons été hébergés par des connaissances d’amis. Des gens qu’on ne connaissait pas, mais qui nous ont ouvert leur porte, nous ont permis de nous sécher, de manger chaud et de recharger un peu les batteries physiques et mentales.

 

Des sacs poubelles dans nos chaussures

La quatrième journée, c’est celle du col de l’Iseran… officiellement fermé ?

Oui. Et ça, c’était épique. On savait qu’il était fermé, mais on a décidé de tenter le coup. On est montés jusqu’à Val d’Isère en espérant trouver un café ouvert pour se réchauffer… mais tout était fermé, dimanche en plus.

Et là, vous vous êtes lancés quand même ?

Oui. Le ciel était clair, il y avait du soleil. On s’est dit : "allez, c’est maintenant ou jamais." Dès 2 500 m d’altitude, on a commencé à rouler sur la neige. Puis, plus haut, ça devenait de la glace. On était prudents, on savait que c’était limite. Mais on a continué. En haut (2764 m), il faisait un froid glacial, avec un ressenti -15 °C à cause du vent. On avait super froid aux pieds, malgré les sacs-poubelle dans nos chaussures.

Et la descente ?

Côté sud, c’était pire que ce qu’on imaginait. On pensait que la neige serait fondue, mais non : il y avait de la glace jusqu’à 2 400 / 2300 mètres. On a passé une bonne partie à descendre à pied, à côté du vélo, les mains crispées sur les freins.

Vous avez dormi où ce soir-là ?

À Aussois. Encore une fois, chez des gens qui nous avaient invités. Là, franchement, c’était un soulagement. C’est la seule journée où on a fait un gros col et quasiment rien d’autre, mais c’était largement suffisant.

 

On savait qu’il y aurait du portage !

Le cinquième jour, vous allez jusqu’à Briançon, dans les Hautes-Alpes ?

On part d’Aussois, on descend jusqu’à Saint Michel de Maurienne, on grime le col du Télégraphe et on traverse Valloire. Au fond de la vallée, on abandonne la route du col du Galibier et on met le cap sur la vallée de Névache, à travers le massif des Cerces.

Un passage engagé ?

Hors norme, même ! On savait qu’il y aurait du portage : 30 à 40 minutes avec le vélo à bout de bras ! C’était dur physiquement, mais on le savait et on s’était préparés psychologiquement.

Qu’est-ce que vous avez pensé de cette section ?

C’est l’un des plus beaux tronçons de toute la route ! Des vestiges de fortifications militaires au Camp des Rochilles, des lacs d’altitude, des crêtes, des vallées suspendues… La sensation d’être complètement seuls au monde. Et quand on bascule dans la vallée de la Clarée, c’est aussi paisible que magnifique. Puis descente jusqu’à Briançon. Tom habite là, donc maison, douche, repas chaud…

 

Nuit sous les étoiles, en pleine période de brame du cerf

Le sixième jour, vous avez bien roulé ?

Oui, on a quitté Briançon, dans les Hautes-Alpes pour rejoindre Barcelonnette, dans les Alpes de Haute-Provence. Nous avons franchi l’Izoard et le col de Vars, mais sur l’asphalte. C’était presque reposant. On a fait du 17 km/h de moyenne, ce qui nous changeait des 12–13 des jours précédents. Côté météo, on sentait qu’on arrivait dans le sud. Il faisait plus doux, plus lumineux.

Septième jour : Barcelonnette – Isola 2000 par la Bonnette ?

On a grimpé la Bonnette en Gravel sur un terrain plutôt accessible. La vue au sommet est toujours aussi impressionnante. Malheureusement la cime était en travaux, donc on n’a pas pu faire la boucle finale.

Et le bivouac à Isola ?

Mémorable. On a planté la tente sous les étoiles, dans un lieu ultra-sauvage, en pleine période du brame du cerf. On les a entendus une bonne partie de la nuit. C’était magique !

 

L’étape de la fin… et de la faim

Le huitième jour vous avez dormi sur le Turini ?

On a quitté Isola pour rejoindre le col de Turini. Sur les panneaux routiers, on voyait « Nice – 30 km ». Sauf que nous, par l’itinéraire Gravel, il nous restait 150 bornes. Ça nous a mis un petit coup au moral. Finalement, nous sommes montés au Turini par la route. Le bivouac là-haut, encore sous le brame du cerf, était magnifique…

Et le dernier jour ?

On quitte le Turini, direction Nice. Un mix de Gravel et de route. Peu de commerces sur la route car c’était dimanche et tout était fermé. C’était l’étape de la fin et de la faim ! J’ai aussi crevé après avoir mal géré la pression des pneus. Finalement on est arrivés vers 15h.

Quels moments retenez-vous particulièrement de ce voyage ?

Le col de l’Iseran sur neige et glace est inoubliable, mais franchement à déconseiller. Le portage dans les Cerces, la vallée de la Clarée, sublime. Les bivouacs ambiancés par le brame du cerf. Ces instants d’effort, de silence, de nature brute. Et puis surtout, l’expérience humaine : les gens qui nous ont suivi, hébergés, encouragés, le soutien autour de la cause de la lutte contre le cancer que nous portions.

 

Un moment d’amitié gravé

Diriez-vous que ce défi était à votre portée ?

Oui. Physiquement, on s’en est très bien sortis. On n’est pas des pros, pas du tout cycliste de base, mais on est très sportifs. Même avec un matériel modeste, c’était largement faisable sur 9 jours.

Un message pour ceux qui souhaiteraient se lancer ?

Tout est possible, il suffit d’être conscient de ses capacités, connaître les dangers auxquels on peut s’exposer et il faut adapter la préparation et l’aventure en fonction de tout ça. Certains le font en 3 jours, d’autres en 10, en 20, certains ne font que 2 ou 3 étapes, avec ou sans assistance, avec ou sans matériel à porter… Il y a un tas de déclinaisons possibles et tout le monde est capable d’organiser sa propre aventure à sa propre échelle.

Entre vous deux, comment ça s’est passé ?

Notre relation s’est renforcée. Tom m’a impressionné. Après ce qu’il a traversé, revenir et tenir ce rythme… c’est beau ! Ce voyage est vraiment un moment d’amitié gravé.

Quelles sont les perspectives maintenant ?

On a quelques idées, les idées fusent dans la tête de Tom, on verra. Tour de Corse en Gravel, un trip au Maroc, ou refaire les Alpes mais cette fois-ci sur route. De mon côté, je continue un projet de Tour de France par étapes. Toujours à vélo, toujours Gravel ou route. On verra ce que l’avenir nous réserve.